Journal d'un vieux fou by Tanizaki Junichirô

Auteur:Tanizaki, Junichirô [Tanizaki, Junichirô]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Folio
Publié: 2002-02-23T04:00:00+00:00

16 septembre. Ces derniers jours, il continue de faire terriblement chaud, une chaleur inhabituelle pour la mi-septembre. C’est peut-être pourquoi j’ai les jambes enflées et très lourdes. L’œdème est plus net sur le cou-de-pied que sur la jambe et, quand on appuie avec son doigt, la chair s’enfonce si profondément que c’en est effrayant. Ensuite le creux reste indéfiniment creux. Les quatrième et cinquième orteils de mon pied gauche sont complètement paralysés. Et gonflés par-dessous comme des grains de raisin. Le mollet et le haut du talon pèsent des tonnes, mais le pire, c’est la plante des pieds. On dirait qu’une lourde plaque d’acier adhère complètement, non seulement au pied gauche, mais aux deux pieds. Marcher est difficile car j’ai les mollets qui s’emmêlent bizarrement. Quand, pour descendre au jardin par la galerie extérieure, j’essaie de mettre mes geta, je ne parviens jamais à les enfiler d’un coup. Je flageole forcément, et me vois obligé de poser un pied sur la marche en pierre, ou parfois même par terre, en me salissant. Certes, je subis tout cela depuis bien longtemps, mais l’aggravation est frappante. Tous les jours, Sasaki, soucieuse, me fait m’allonger sur le dos et plier les genoux pour vérifier que je n’ai pas attrapé le béri-béri – lequel m’épargne pour l’heure.

« Le docteur Sugita devrait venir pour un examen plus approfondi. Comme il y a aussi un certain temps que vous n’avez pas eu d’électrocardiogramme, il faudrait en faire un. Ce qui m’inquiète, ce sont ces œdèmes. »

Ce matin, il y a eu un nouvel incident. Comme je me promenais dans le jardin avec Sasaki qui me tenait par la main, notre colley, gardé en principe dans un chenil à part, a bondi sur nous subitement. Le chien avait seulement l’intention de s’amuser, mais cet assaut inattendu m’a pris au dépourvu. J’ai eu l’impression d’avoir affaire à une bête féroce. Sans avoir pu offrir la moindre résistance, je suis tombé à la renverse sur la pelouse. Cela ne m’a pas fait vraiment mal, mais en me heurtant l’arrière de la tête, j’ai senti le coup résonner dans mon cerveau. J’ai voulu me relever, mais je n’y suis pas parvenu, et il m’a fallu plusieurs minutes pour me redresser en m’agrippant à la canne que j’avais ramassée. Après m’avoir renversé, le chien harcelait maintenant Sasaki. Entendant ses cris, Satsuko est accourue en simple négligé.

« Leslie, voyons ! » le gronda-t-elle.

Et il lui a suffi d’un regard impérieux pour que le chien se fasse aussitôt docile et suive Satsuko, la queue frétillante, vers son chenil.

« Vous n’êtes pas blessé ? » s’enquit Sasaki en époussetant les pans de mon yukata, alors que je m’étais remis debout.

« Non, ça va, mais un vieillard à bout de forces ne peut rien quand une chose aussi énorme vous saute dessus.

— Heureusement que vous êtes tombé sur l’herbe ! »

Jôkichi et moi apprécions les chiens, et nous en avons déjà eu auparavant. C’étaient essentiellement de petites espèces, des airedales, des teckels, ou des loulous. Les chiens plus grands sont arrivés après le mariage de Jôkichi.

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